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ETRE QUELQU’UN

L’ hypothèse du destin

Je ne donnerai ici aucun signe qui pût s’apparenter à un fléchage. J’ai plutôt tenter de saisir ce qui, dans l’empreinte demeure constant en même temps qu’insaisissable.

Plus explicitement alors, tenter de dire d’où je viens.

Ce que l’on sait…

LUI:  » Je suis né au mois de juin 1958 dans une ville protestante du sud ouest de la France. Je suis entré dans la vie de face et non de profil. Puis j’ai poursuivi l’expérience. J’ai donc pris la mesure de tout ce qui pouvait aller de travers et ne correspondait pas exactement à l’idée que l’on se faisait.

Etrangement, ma vie artistique professionnelle a débuté par l’apprentissage d’un art désuet: le mime. Je ne voulais plus, à cette époque déjà, parler.

Mon professeur m’avait prévenu: il n’y a pas plus bavard qu’un mime!

L’audition dura 15 jours. Puis je fus retenu pour deux années d’étude. La première année nous étudiâmes les animaux. La deuxième année le corps humain – même si nous devions prendre des formes animales, allant jusqu’à y intégrer des fourrures – disons des expressions – avec nos corps. Enfin le cycle d’études se terminait par l’étude du personnage. La Comédia dell arte y tînt une place immense, quasiment un couronnement.

C’est à ce moment là que surgit ma passion pour la danse. Dans la retenue du silence, ponctué, phrasé, dans les corps se montrait, apparaissait cette autre dimension de l’espace: le temps.

Le studio se trouvait deux étages plus bas. Nous avions la chance de travailler dans le théâtre de la Gaité lyrique avant qu’il ne soit promu, installé au centre de l’agitation parisienne dans l’imbroglio digital du monde qui arrivait, doucement référencé par l’institution.

Gaité lyrique…C’est un des plus beaux noms que l’on puisse donner à un théâtre.

Hormis des expériences d’adolescent où je m’étais approché de la scène autour des textes de Vaclav Havel, haute figure de la dissidence en-deça du Mur, mis en scène par des amis ou, quand j’exultais de joie, plus tard à Paris dans un théâtre de la rue des Francs Bourgeois aujourd’hui disparu sur un texte d’Aristophane, c’était la première fois que je pénétrais dans un espace noir, avec un tapis de danse, face à un miroir, qui ne cessait de me confirmer – en dehors de toute conjoncture vraisemblable – que le pantin levant la patte, la-bas, c’était bien moi, semblait en tous cas correspondre et que c’était pas mal… Souvent les destins s’annoncent sous la forme d’hypothèse.

La magie de la danse, c’est que les corps sont séparés. Dans le vestige de cette gaité, j’appris les bases de la danse classique. Pas, positions figures. Je n’étais pas mauvais, en tous cas passionné par ce monde de rigueur et de discipline. Luisants de sueur, nous remontions aguerris au sixième, par petits groupe retravailler nos figures animales, tel une silhouette porcine, un autre l’hippopotame, une girafe, un zèbre, dont je ne sais par quel moyen, nous espérions les uns et les autres deviner les rayures, les cous tendus, les ventres ballonnés…Par quel prodige, dès lors que l’art du mime ignore les bruitages, je l’ignore, mais cela était au coeur de nos études et nous les prenions au sérieux.

Enfin, ce que l’on nomma le mouvement de la danse contemporaine surgit, comme une conjonction hasardeuse qui nous permis de déceler une énergie singulière, une manière d’être. Beaucoup semblaient avoir la rage au corps des aventuriers. On voyait des danseurs qui sortaient du répertoire classique comme si le Punk avait déboulé sur scène, affirmant des choses à dire, faisant enfin entrer le monde avec un énergie folle dans le travail, sur les plateaux. C’étaient des groupes d’abord avant de devenir progressivement dans la reconnaissance institutionnelle des Centres chorégraphiques. Un essor tout autant qu’une lessiveuse. Mais, que cela soit dans le pur travail de la forme, tel Cunningham, la reconnaissance aux femmes pionnières, Martha Graham, nous étions, j’y pris une part modeste, parties prenantes d’un présent, d’un mouvement.

Nous osions dire que la question sociale était une question esthétique ou l’inverse… j’ai oublié.

A rebours, je trouve que c’est une chance d’avoir pu participer à cette multiplicité d’expressions, de formes, d’avoir été porté, nourri par un mouvement d’ensemble, quelqu’en furent les orientations, le plus souvent en marge des institutions, dans un travail de laboratoire, progressivement reconnu, suscitant la critique acerbe ou l’engouement de quelques uns sur les pavés mouillés d’une allée obscure au fin fond d’un arrondissement où patiemment nous attendions, avertis, partageant le secret de l’inouï annoncé que les portes du studio s’ouvrent pour découvrir, être emportés par la proposition d’un ou d’une chorégraphe – se nommaient t’ils seulement ainsi ? -.

Un exercice critique.

Moments joie de travail, de désir, de force et de puissance. Nous nous apparentions sans cesse, un tel surgissait, incroyable, nous courrions à la Bastille, dans ce théâtre minuscule, un repaire pour les amoureux, voir les belges qui nous ensorcelaient, mettant à bas tous les préceptes, forçant sur nos mines pointilleuses d’exégètes les premiers sillons du rire, de la joie, du pur bonheur .

C’est en tous cas ce que certains rapportent de cette vie pour ce premier moment. Mais une vie est faite de saccades, de poussées, de contradictions perpétuelles. C’est souvent le cas pour ceux qui doivent apprendre, se faire un chemin sur le tas. Comme tout croyant nous avions nos messes, les premières, les nouveaux cartels du Théâtre de la ville où le directeur, des décennies plus tard exprimant son sentiment du déclin eut ces mots définitifs de clôture:  » les héros sont fatigués… ».

 » Il décida alors de s’élancer dans les questions de production, quitta le plateau, les studios. Suivit une formation, fût diplômé, appelé. Six années de voyages, de tournée, un épuisement, une contre-façon. Puis ce fût l’explosion. Tout perdre, n’être plus rien, ni pour soi, ni pour les autres hormis quelques camarades qui me regardaient d’un air désolé. Redevenir après l’éclat des théâtres, les alpagas de première, les voyages internationaux où il était de bon ton de citer une ville ou un pays lointain, le Japon par exemple, afin de recueillir les miettes d’une apparence. »

Cette période s’acheva par une crise majeure, au cours de laquelle il retourna à l’université s’enquérir des questions d’écriture numérique et là encore obtînt son diplôme, cette contre-marque.

Reprendre l’hypothèse:

LUI:  » Le second moment de cette vie, je le situe à Marseille, dans le quartier de la Belle de mai. Je m’étais fait passé pour un danseur en mal de résidence et j’avais dégotté, au fond d’une allée dans un de ces vieux immeubles marseillais à trois étages et à persiennes un deux pièces où avait été accueilli Edward Bond.

ELLE:  » C’est long, c’est trop long ta vie, cela devient ennuyeux ! « 

LUI:  » C’est vrai… Tu as raison… venons-en au pingouin… »

ELLE:  » Mais l’hypothèse du destin, tu en as fait quelque chose? « 

LUI:  » Je ne sais pas encore…juste le silence ou si tu préfères, cette citation:  » I would prefer not to »

ELLE:  » C’est un retournement? »

LUI:  » je ne sais pas encore… »