Notre histoire

I

Un jour, il y a des années, quelqu’un vint me trouver avec ces mots: « je voudrais te proposer de travailler autour du mammouth ». Je ne dissimulerai pas ma surprise. Des mammouths, comme tout le monde, j’avais entendu parler, mais j’ignorais que l’on pût travailler dessus ou autour ou dessous. Comme chacun, ni plus ni moins j’avais fréquenté l’enseigne qui avait disparu dans les remous de la mondialisation.

C’est ainsi que les choses commencèrent: une extraction. De plus, faible d’esprit et pauvre, je résiste rarement à une proposition.

Plonger dans la mine orfèvre des grottes dûment constatée par le marquage géographique: Pech Merle dans le Lot.

J’habitais une petite maison dans un bourg voisin, nous déjeunâmes dehors, sous un soleil de printemps. Il n’y avait pas de nappe. Nous fixâmes l’accord. Je remerciais de la venue et de cette marque de confiance. Un défilé était prévu au coeur du village, voilà ce que de loin, je savais.

Il y avait là cependant ce qui m’avait toujours attiré, à quoi j’étais lié, infiniment attaché par des souvenirs d’enfance certes, aussi par une maison d’éclusier où nous projetions d’installer avec une compagne, danseuse – mais à rebours – je crois que c’était seulement moi – au premier étage, un piano.

Autant dire une racine.

il y avait donc là, majestueuse, une rivière. Beaucoup les enjambent par des ponts, ont des souvenirs de pêche, sont familiers des joncs à pointe brune, des arcs que dessinent des carnassiers en chasse ou du sillage ondulant, désespéré des proies. Ici deux mondes se côtoient, existent en paix depuis des siècles, deux mondes bien ordonnés qui se font face: l’un sur la rive, l’autre sur et plus précisément depuis l’eau. La barque ou le jonc ne sont pas opposés. L’une, fixe – apparement dans le référentiel d’un talus- voit passer, l’autre – dans le référentiel du bâti de planches- est mobile, glisse, porté par le courant matériel des reliefs invisibles, ce que sur terre nous arpentons en soufflant et qui là, lovés sur la barque nous emmène.

Parfois, un tronc retourné passe, ou une épave, ou des gens qui poussent des cris en maillot de bain, posés sur le carquois d’une pénichette sans permis et nous toisent, faisant un geste minuscule, contraint, un salut amical comme s’ils gagnaient le bout du monde et nous voyaient pour la dernière fois, ce qui effectivement, sans risque, était probable.

Une rivière dissimule toutes ses perspectives. Pour en pénétrer le réseau, il faut assaillir la matière des falaises, l’encours des villages clairsemés, deviner les failles et profondes où des noyés invisibles, réellement disparus, sont pris au piège. Ce tracé du cours d’eau, magique, étincelant, abri des faunes les plus diverses qui nous semble éternel, cependant creusé, formé par le temps inconnu, mal perçu des géologies, en tous cas pour les non spécialistes. Non, nous qui n’avons pas cette chance, à la surface, dans les méandres, sous la tige effilé d’un peuplier, nous vaguons, divaguons, sans prise, irresponsables, presque heureux sous le couvert des arbres, posés sur le ventre, les coudes soutenant le menton, attentifs à ce torticolis du bonheur passager qui nous incite à nous retourner vers l’autre emprise, celle du ciel.

Ainsi se construisît cette première agrafe: celle de l’eau et du mammouth de Pech Merle.

II

Cependant, il fallut, plus sérieux recourir aux cascades.